Gargentua ou lettre à l'Homme
Me voilà donc assise à ma table. Je n'ai pas d'appétit et pourtant je sais que je vais dévorer. J'ai faim de combler le vide de mes illusions emportées par le poids de tes mots.
Oh, je suis une grande fille, je m'en remettrai, c'est sûr. D'ailleurs ça va déjà mieux, tu vois : je vais manger. J'ai séché mes larmes avec un peu d'amour-propre et de fierté, nettoyé mon coeur avec le fatalisme qui me connait bien. Pardon, je voulais dire le "déterminisme".
Et oui, moi j'y croyais, à la famille, à la maison, et même à l'affreux clébard qui aurait couru dans le jardin. Même le clebs je l'aurais accepté, pour toi. Oui j'y ai cru, une cérémonie celtique en pleine forêt, une couronne de fleur sur ma tête, pieds nus sur un lit de mousse. Je l'ai rêvé cet anneau comme le tien, tout simple mais tellement comme le tien, juste pour me figurer qu'on serait lié à la vie à la mort. J'en crevais d'envie, à vrai dire, ça aurait été comme un engagement. J'étais même prête à avoir un enfant avec toi.
En une nuit, tout à été balayé. On a bien fait d'en parler. Au moins, ce retour à la réalité m'était nécessaire. J'en ai encore les larmes aux yeux, en y pensant, parce que c'était beau, c'était grand, et pour la première fois depuis des années, je faisais des projets. Je me disais : peut-être dans un an, quand ma situation ce sera stabilisée, on pourra s'installer ensemble, dans un lieu choisi par nous deux. J'envisageais plein de belles choses.
Et puis, j'ai mal aussi... pour le Petit Prince. J'aurais voulu qu'il ait un homme stable dans sa vie. Et cet homme, j'aurais voulu que ce soit toi. Il ne faut pas tout mélanger, je sais, mais moi je pense à lui... de moins te voir, tu vas lui manquer.
Je sais, rien n'est fini entre nous, on rebatit une nouvelle relation. Rien n'est jamais acquis en amour, pas vrai? Et que nous reste-t-il de ce petit bout de construction non achevée que nous avions commencée? Des corps enlacés, des délires de plaisir, au moins, ça , on sait que l'on s'entendra toujours sur ce point. Mais je voyais ça comme la cerise sur le gâteau, alors maintenant je ne sais plus trop quoi en penser.
Me voilà balayée par des tourbillons d'angoisse et de peine. Je voulais que ce soit toi, l'anneau, la couronne de fleur, les doigts posés sur mon ventre, un baiser au Petit Prince, je voulais vivre avec toi, je voulais être rassurée, je voulais des projets, je voulais rêver, je voulais la lune, et le soleil, et Eliopolis avec toi.
J'ai mangé Gargentua, il me dévore à present de l'intérieur.
Quand ce sera finit entre nous, je t'offrirai ce blog. Peut-être que tu comprendras.