Requins en eau trouble (II)
J'ai donc appris, travaillé tête baissée en caressant l'espoir un peu
fou que j'obtiendrais un gratifiant : "Je suis fier de vous, bon
travail, petite". Au lieu de ça, le boss me posait sans délicatesse les 3
téléphones sonnants sous le nez, histoire de bien me rappeler quelle était ma
fonction première - i.e. celui de répondeur.
Les humiliations s'enchaînèrent soudainement. Du simple refus que je prenne
des jours de congés jusqu'à la menace d'embaucher une méduse écervelée que je
devais former au métier de visibulateur afin qu'elle puisse me remplacer, en
passant par la mise en place d'une pointeuse pour surveiller mes horaires
d'entrée et sortie.
Devant ce déchaînement de postillons gluants et de mauvaise haleine, mon
attitude a été de rester de marbre. En effet, j'ai toujours observé que face
aux cons mieux valait adopter la stratégie de
Récapitulatif : pendant que vous vous faisiez engueuler, vous n'avez
absolument rien montré et pour finir vous acquiescez. A cet instant, s'il avait
des doutes, il n'en a plus : le con sait que vous mijotez quelque chose, sans
savoir quoi, mais ne peut absolument pas vous le reprocher car il ne s'agit que
de simples présomptions, votre attitude étant somme toute positive.
N.D.L.R. : Marche aussi avec les
collaborateurs pète-couilles, la dame de la boulangerie qui vous raconte sa
vie, votre mère. A éviter avec votre contrôleur des impôts (sauf si vous êtes
joueur).
Il faut donc clore cet entretien au plus vite afin de ne pas laisser l'autre
vous poser des questions embarrassantes. C'est le moment que vous
choisissez pour dire que vous devez rappeler impérativement un client
là-maintenant-tout-de-suite, montrant que vous restez un bon collaborateur zélé
(préparez et adaptez vos excuses bidons en fonction du contexte), lancez, un
"bon, ok, à plus" si vous vous le sentez, et filez dardar ruminer de
sombres desseins à l'abri des regards.
C'est à ce moment-là que j'ai enlevé mon masque de Jean-qui-rit et essuyé
les trois gouttelettes qui perlaient le long de mon échine. C'est à ce moment
là qu'en mon for intérieur j'ai lâché une bordée d'injures à faire fuir un banc
de maquereaux.
Cette fois, s'en est trop, je vais renvoyer ce requin barboter dans sa
baignoire avec les planctons qui gravitent à sa suite. Je deviens le redoutable
canard en plastique et je possède le superpouvoir du couinement qui tue. Prends
garde, le requin, tu vas bientôt avaler tes chicots, je vais faire de la soupe
avec tes ailerons!
La suite au prochain épisode